Une phrase, un texte #3 : les textes

Bonjour !

La semaine dernière l’atelier d’écriture a réuni six textes, et des tas d’idées et d’interprétations différentes … j’ai beaucoup aimé  : merci !

Pour l’atelier de cette semaine, je vous ai proposé un extrait du livre Les corps inutiles, de Delphine Bertholon :

« Elle souriait, sifflotait même, peut-être – une chanson entendue à la radio juste avant de partir, de quitter la maison, heureuse de s’en aller, comme une grande : elle avait rarement le droit de sortir le soir, c’était exceptionnel. Mais il faisait jour encore, l’air était tiède et l’école finie. »

N’hésitez pas à commenter les textes, ici et sur les autres blogs, ça fait toujours plaisir !

Bonnes lectures !

Mon texte :

Elle souriait, sifflotait même, peut-être – une chanson entendue à la radio juste avant de partir, de quitter la maison, heureuse de s’en aller, comme une grande : elle avait rarement le droit de sortir le soir, c’était exceptionnel. Mais il faisait jour encore, l’air était tiède et l’école finie.

Elle avait hâte de le rejoindre, des semaines qu’elle ne pensait qu’à ça, que l’idée lui restait en tête jusqu’à l’obséder. Et les derniers jours lui avaient paru tellement longs … une torture, chaque journée qui s’achevait devenait une délivrance. Puis, il faut dire qu’elle s’ennuyait. L’école, c’est vrai, la divertissait un peu, mais elle n’y avait dans le fond qu’un rôle secondaire. Tous les jours elle était là, attentive, le regard bienveillant sur les mains qui se levaient, souvent un livre à la main. Mais là, elle n’en pouvait plus, elle avait besoin de sortir de son quotidien, de se sentir libre à nouveau. Et de redécouvrir ce regard, ce regard qui la faisait frissonner dès que ces yeux sombres se posaient sur elle. Jamais elle ne pensait pouvoir ressentir ça à son âge, c’était réservé aux autres. Et pourtant … une telle intensité, une telle flamme s’en dégageait …  elle n’imaginait même pas l’explosion de sentiments et d’émotions qui risquaient de l’inonder s’il s’aventurait à poser une main sur sa peau …

A son âge … Jamais elle n’aurait imaginé cela possible. Mais il s’était présenté là, un jour, devant elle à la sortie de l’école, puis, ils avaient discuté, et ils s’étaient revus, encore, et encore.

A l’école, elle venait lire des histoires aux enfants, ou les aider un peu pour les devoirs : la maison de retraite lui autorisait. Mais là, elle avait obtenu autre chose : la fin de la journée, juste seule, avec lui. Autorisation de minuit. Elle était à nouveau une grande, et non plus une vieille.

Celui de Guillaume, fidèle au rendez-vous depuis le premier atelier 😉

« Elle souriait, sifflotait même, peut-être – une chanson entendue à la radio juste avant de partir, de quitter la maison, heureuse de s’en aller, comme une grande : elle avait rarement le droit de sortir le soir, c’était exceptionnel. Mais il faisait jour encore, l’air était tiède et l’école finie. »

Elle remonta lentement la rue. Les garçons jouaient au foot sur le bas côté. Elle ne leur prêta pas attention et continua résolument vers le soleil. Les derniers rayons illuminaient son visage, l’aveuglaient même, mais peu importe elle connaissait bien le chemin. 
Elle passa devant l’échoppe de Valhalla.   Insensible à la profusion de couleur des fruits, elle n’échappa pas à l’ivresse  des épices. Elle rendit son sourire au vieil homme qui se tenait assis à même le sol. 
Soudain elle fut rejointe par Mogany qui arrivait en courant.
 « hi Lana, waxaad tahay? » 
Lana hocha la tête en riant et lui prit la main. Elles repartirent ensemble marchant côte à côte.
A la sortie du village elle s’arrêtent brusquement. Le soleil commençait à se coucher et la pénombre ne tarderait pas à les envelopper.  Lana scruta l’horizon : aucune silhouette ne s’avançait sur la piste principale qui conduisait au puits.  Personne derrière non plus en provenance du village. Rassurées. Les deux filles bondirent hors de la piste et s’enfoncèrent sur un imperceptible sentier perpendiculaire à la piste masqué par la végétation.  Elles hâtèrent le pas et atteignirent rapidement une clairière au milieu de laquelle elles distinguaient une modeste case en torchis. A l’entrée un homme à la longue barbe grise les attendait.  

Guillaume Lavoué, 27/02/2016, train Paris – Rang du fliers / Verton

Et celui de Stéphanie Herter :

Elle souriait, sifflotait même, peut-être – une chanson entendue à la radio juste avant de partir, de quitter la maison, heureuse de s’en aller, comme une grande : elle avait rarement le droit de sortir le soir, c’était exceptionnel. Mais il faisait jour encore, l’air était tiède et l’école finie Elle marchait vers sa propre destinée. Celle-là même qui étouffe l’impossible, qui embrasse l’infini. Libre et imprévisible comme l’océan. Sortir de chez soi, sortir de son « moi ». Oser. Le chemin côtier lui permettait de hurler comme le vent s’engouffrant dans les grottes. Liberté! Ce soir personne n’interviendrait! Aucune autorité. Aucun interdit sinon ses propres freins. La barque était là au bout du chemin. Elle l’emmènerait ce soir de l’autre côté. Embarquer en débarquant ses renoncements. Lever les voiles pour se dévoiler à soi. Vivre à s’enivrer. Ne pas se retourner. L’avenir n’a pas de passer. Se dépasser.Garder le cap. Cap? Pas cap? Se Faire confiance. Siffloter pour se rassurer. Panser ses plaies. Ne pas penser. Chaque pas est une affirmation. De l’autre côté, je m’y attends. Enfin.

Les liens !

Le texte d’Isabelle (merci pour cette première participation ma belle !) , 16 ans, l’âge des découvertes

Celui d’Anne Véronique, une première soirée d’été.

Le texte de Ghaan Ima, Un soir d’été et un fantôme

Et celui de Maryline, Franchir le seuil

Et l’auteure ?

9782709646611-X_0

 

 

Elle souriait, sifflotait même, peut-être – une chanson entendue à la radio juste avant de partir, de quitter la maison, heureuse de s’en aller, comme une grande : elle avait rarement le droit de sortir le soir, c’était exceptionnel. Mais il faisait jour encore, l’air était tiède et l’école finie. Dans deux mois, évidemment, on en reparlerait (le lycée, le changement), mais pour l’heure, c’était bel et bien terminé. Précisément, elle allait fêter cela, chez Amélie, qui avait une grande maison et des parents absents, artistes voyageurs – mais chut, c’était secret, un secret bien gardé.
Elle marchait, portait un jean, un 501 brut comme toutes les filles de son âge, de cette époque, de cette ville. Une blouse en coton lâche, verte probablement – elle adorait le vert. Des ballerines, ou des nu-pieds ; pas de talons, sûr et certain. Elle était petite – de petite taille – mais sa mère la trouvait trop jeune pour porter des talons, les talons étaient des accessoires de femme, d’adulte, aguicheurs et bruyants. Tout de même, elle s’était maquillée, en douce dans l’ascenseur (pas beaucoup, juste un nuage de blush et une pointe de noir sur les cils trop pâles), et elle marchait heureuse dans la ruelle déserte, libre et insouciante – elle trottait. La rue portait un nom d’oiseau. Elle la connaissait bien, mille fois empruntée, à deux pas de chez elle, à deux pas du collège, petite rue bien tranquille.
Sur l’instant, elle n’a pas compris.
Il fallut à son cerveau un temps d’adaptation – une fraction de seconde, sans doute, mais l’adaptation sembla durer mille ans.
–    Ne bouge pas, ne crie pas. Ou je te crève.
La voix avait précédé la sensation, le contact glacé de la lame sur son cou, sur sa peau nue. Elle s’immobilisa, réflexe, au milieu du trottoir. La présence derrière elle, immense, lui faisait de l’ombre. Comme un pin parasol, pensa-t-elle. Un pin avec une arme.

Une phrase, un texte #1 : les textes

t

Vous avez été nombreux à vous montrer enthousiastes pour ce nouvel atelier d’écriture, nombreux aussi, d’après ce que j’ai pu lire, à ne pas trouver le temps d’y participer : ce n’est que partie remise, rassurez-vous, je compte bien le continuer, au moins une semaine :p

Ils sont trois à avoir répondu à ce premier appel, soit 6 textes au total, ce qui me réjouit car je craignais de n’y déposer que le mien, ce qui n’aurait pas intéressé grand monde ! Et plus de 400 à lire l’article … ça, c’est vraiment surprenant !

La phrase du jour était donc tirée du prologue de  Pardonnable, impardonnable, de Valérie Tong Cuong. C’est un livre dont je viens de terminer la lecture, et que je chroniquerai prochainement (mais, je peux déjà vous conseiller de vous le procurer rapidement, il est vraiment très bon).

Mon texte :

 Elle se retourne, sourit, inspire avec lenteur pour souligner l’importance de l’entreprise. Se remet en position, tête inclinée. Prête à partir.

Et puis non. Elle se retourne, serre le petit objet dans sa main droite, et va s’asseoir, sur ce canapé ramolli par les années, mais dans lequel elle se sent si bien.

Elle le garde au creux de ses mains comme un trésor. Elle sent que son cœur bat vite, très vite. Trop vite ? Hors de question de s’emballer pour le moment. Respire. Inspire. Expire. Inspire. Expire.

Lui, il est là, derrière elle. Elle entend qu’il se rapproche. Elle commence à sentir son parfum, puis le souffle de sa respiration qui lui caresse la peau. Elle sent son corps frémir.

  • Tout va bien Virginie ?

Tout va bien, oui. Pour le moment, elle le croit, elle l’espère. Ses pensées s’entrechoquent et se mêlent. Elle sourit, elle faiblit. Et pourtant, elle sent que ce qui se passe en elle la renforce. Moment de plénitude au creux d’un tourbillon. Douces contradictions. Un moment inattendu pourtant attendu, c’était juste qu’elle n’y croyait plus. Mais, les signes, bien qu’elle ait essayé de les ignorer, ne la trompaient pas. Sa main vide caresse sans y penser son ventre plein. Un plein d’amour, un plein de fierté après les années passées, un plein de vie.

Texte reçu par mail, de Guillaume L. (celles et ceux qui me connaissent comprendront pourquoi j’aime beaucoup ce texte 😉 )

Elle se retourne, sourit, inspire avec lenteur pour souligner l’importance de l’entreprise. Se remet en position, tête inclinée. Prête à partir. 

Et puis non. Elle n’y arrive pas. 

C’est tout simplement trop difficile. Pourtant elle était si près du but ! Cela fait maintenant une semaine qu’elle ne cesse d’y penser, d’essayer.  Hier encore quelle humiliation quand les autres ont été témoin de ce nouvel échec: elle s’était pitoyablement  effondrée. Heureusement une fois de plus son charmant sourire lui avait sauvé la mise. Les mines réprobatrices qui l’entouraient s’étaient changées en visages bienveillants. Ah ah  ils peuvent bien se moquer, pour eux c’est si facile. Elle n’était pas du genre à abandonner et sa persévérance n’était plus à prouver. 

Elle ferma un instant les yeux, redressa le buste et prit à nouveau une profonde inspiration. L’environnement lui était familier: elle avait depuis longtemps éprouvé la robustesse des barreaux blancs qui l’entouraient. Ceux-là même qui limitaient son horizon.  Elle avait d’ailleurs entendu récemment qu’elle était dotée d’une incroyable acuité visuelle pour son âge.  Elle distinguait chaque détail, chaque aspérité de la peinture blanche qui s’écaillait imperceptiblement . Elle passa lentement sa main le long du morceau de bois. La peau fine et fragile de ses doigts effleurait le barreau rugueux mais il avait quelque chose de rassurant.  Elle saisit un second barreau et ses deux mains se crispèrent dessus. Elle contracta ses muscles de toutes ses forces et s’éleva enfin sans bruit! Soudain le silence se brisa et Antoine s’écria : « Fanny, Fanny, regarde Chloé est en train de marcher !« 

Guillaume Lavoué, Vol Dusseldorf – Paris, 10/02/16

Texte d’Isabelle Blanes :

« Elle se retourne, sourit, inspire avec lenteur pour souligner l’importance de l’entreprise. Se remet en position, tête inclinée. Prête à partir.
Et puis non. »

Pourquoi partirait­-elle, c’était maintenant que tout se jouait… Elle le regarde, continue de sourire, son cerveau tourne de tout ses rouages, à toute vitesse, comment allait-­elle lui présenter la chose… Il fallait persuader, séduire, le moment est important, il faut se surpasser, j’en suis capable se dit­-elle.

Elle se lève, l’affronte de ses yeux verts, profonds, enjôleurs, sa silhouette fière le surplombe, et elle attaque, son débit est mesuré, son ton convainquant, elle a tout mémorisé et elle ressort ses arguments les uns derrière les autres, elle prend de plus en plus d’assurance, elle se retrouve elle-même, plus de peur, plus d’appréhension, elle sait de quoi elle parle, sa passion reprend le dessus, elle oublie où elle est, devant qui elle se tient, qui elle doit convaincre, elle maîtrise son sujet, elle a tant travaillé dessus!

Elle vole du tableau à la table, ses bras semblent deux ailes qui s’étendent, ses cheveux virevoltent autour de son visage anguleux…

L’homme assis au bureau est éberlué, il ne s’attendait pas à cela, cette passion, ce savoir chez une si jeune femme. Il écoute attentivement, il boit chacune de ses paroles, il essaye de suivre son raisonnement, il admire les résultats obtenus, il n’avait pas envisagé cette solution, cette jeune femme est vraiment brillante, elle a obtenu des résultats incroyables en utilisant des chemins détournés auxquels il n’aurait pas pensé…

Le tableau se remplit de formules, de flèches, de démonstrations… Elle n’a pas présenté ses résultats, elle voulait l’amener à la solution comme elle­-même y est parvenue, elle voit ses yeux s’écarquiller quand il commence à comprendre où elle l’a emmené. Fini l’air revêche de vieux prof grognon, son œil pétille, il ne tient plus en place, il veut savoir… Elle ralentit, elle arrive au final, prendre son temps est encore plus important, elle aborde sa conclusion, ça y est, elle a fini. Elle ne s’attendait pas à sa réaction.

Enthousiaste, il se lève, un rire s’échappe de sa gorge: « Si je m’attendais à cela! » s’écrie­-t­-il.

Puis, il continue, « Bravo! C’est brillant, vous avez gagné, je vous prend dans mon équipe! »

Épuisée, la jeune femme le regarde, elle n’y croit pas, pas encore, puis elle éclate de rire, elle qui croyait avoir encore à convaincre après sa démonstration, c’est fait! Elle y est arrivée, elle va pouvoir continuer ses recherches dans les meilleures conditions possible, fini les petits boulots, les coloc minables, les concessions à n’en plus finir! Elle a gagné!

Les liens :

Le texte de Leana  « Le rejoindre » sur Quelques bouts de page

Le texte de Gaëlle : « Quand il faut, il faut » sur My writting world

Et celui de Pativore et de Belange !

Et l’auteure ?

9782709646086-X_0

Elle se retourne, sourit, inspire avec lenteur pour souligner l’importance de l’entreprise. Se remet en position, tête inclinée. Prête à partir.

Et puis non.

Attends, souffle-t-elle, sourcils froncés.

Elle rajuste sa robe à damiers rouge et blanc, coince avec soin l’ourlet entre la selle et ses cuisses.

Au premier coup de pédale, d’accord ?

Il acquiesce, les yeux rivés sur le cadran magique.

Dans son dos, les champs habillent les collines à perte de vue. Les maïs sont à hauteur d’homme, les tournesols brûlés. Dans deux ou trois jours au plus, les tracteurs déploieront leurs bataillons. Les roues écraseront la terre, arracheront les tiges, broieront les feuilles avec sauvagerie.

Cinq, quatre, trois, deux, un, décompte Milo avec sérieux.

Marguerite s’élance.

Un battement de cils et déjà, il l’a perdue de vue.

La route serpente et disparaît sur une centaine de mètres dans le sous-bois, réapparaît puis s’enfonce à nouveau dans les champs.

Le garçon n’aime pas ce moment où il ne la voit plus, ne l’entend plus. Il se sent seul, vulnérable, minuscule face au monde immobile.

Mais la voici qui surgit, tache rouge et blanche sur le lacet de bitume.

Deux minutes quarante-six ! hurle-t-il joyeusement, comme si elle pouvait l’entendre.

Peine perdue, elle est beaucoup trop loin.

Elle agite les bras : Allez, Milo, à ton tour, descends !

Alors il enfourche son vélo, un vélo bleu avec des étoiles blanches peintes sur le cadre, il courbe les épaules, contracte ses muscles, murmure pour lui-même, Fonce, mon petit vieux, fonce !

Les joues giflées de vent et de soleil, la nuque moite et la mâchoire serrée, il pédale de toutes ses forces. Il ne s’agit pas de compétition ni de record à battre, seulement de vitesse, d’ivresse, il est saoul sur la petite route de campagne, saoul Milo de désir enfantin, de joie, de légèreté, saoul de bonheur – une seconde avant l’impact, il rit encore bouche grande ouverte en pédalant.

Puis tout se brise.